lundi 18 avril 2011
J'ai longtemps haï le charbon,
la mine, la silicose, à force de voir ces hommes de 40 ans soufflant
leur vie à l'arrachage, au "travers banc" (ceux qui "remontent blancs"
comme dit le poète), la silice étant bien plus dangereuse que le charbon
qui noircit mais ne casse pas les alvéoles pulmonaires, j'ai toujours
haï l'argent gagné (en effet relativement important pour un travail
d'ouvrier) à ce prix, les sirènes d'accident hurlant la nuit, le câble
qui a claqué un jour dans le visage de mon père (pas de suites ni même
de trace), les petits matins glacés d'hiver lorsqu'il faisait encore
nuit et que je l'entendais prendre son vélo, passant "le remblai" pour
se rendre au carreau, les lampes elles mêmes accrochées dans la salle
des "pendus" (pour vérifier que tout le monde était remonté en cas de
coup de grisou), les mutilés qui erraient dans le village, mornes, se
sentant inutiles, indemnisés (mal), installés au troquet, et parfois
dérivant vers l'alcool... les femmes trop bien habillées qui payaient
leur élégance des poumons de leur mari etc... et cependant ce n'était
pas une enfance malheureuse ; les fêtes, les bals, les troquets ouverts
nuit et jour, la vie culturelle, le ciné club, le cosmopolitisme, les
magnifiques jardins ouvriers en bord de rivière luxuriants dans la
fraicheur du limon, l'école où ma mère régnait en hussarde noire, et
Mademoiselle Dalverny, la jeune maîtresse, pour moi la plus belle femme
du monde, qui me fit "passer" du CP au CE1, puis du CE1 au CE2 la
même année, elle aurait continué joyeusement mais Lydie [sa supérieure!] l'arrêta sec, refusant, selon sa formule "d'avoir procréé un petit singe savant de laboratoire" et la jeune instit s'aligna. On ne s'opposait pas à Lydie. Seul Gustau
(lien avec "Les lettres à Lydie) s'y était essayé avec un certain
succès peut-être mais il était un héros de la résistance, il fallait au
moins ça.
. Lydie Brahic-Larrivé en 51, ma mère, un visage parfait, ce qu'elle n'ignorait pas (!) et un caractère qui l'était moins.. Elle ne sut pas être une mère -comme moi plus tard- ou à temps très partiel, tout en m'aimant à sa manière, marquée par la guerre et la mort sous la torture de Gustave Nouvel dont elle avait dû reconnaître le corps au Puits de Célas (lien) en 44. Elle avait 25 ans. Je ne l'ai su qu'après sa mort, 45 ans après, en 1999. Personne ne m'en a jamais soufflé mot alors que tout le monde le savait -qui dira que les gens bavardent?- Les cévenols se taisent jusqu'à la veille de la mort -c'est alors qu'elle m'a parlé des "documents au grenier dans le cache qui m'intéresseraient", c'étaient les lettres de Gustave et toutes sortes de documents sur la résistance- je ne voulais pas voir pas que c'était la fin. Victime collatérale de la guerre, comme moi et sans doute mon père. |
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Oui j'ai haï la mine comme tous, un mélange de rancœur et de magnétisme quasi hypnotique, les lumières le soir qui ensuite m'évoquèrent la ville, cette armée d'hommes courageux, silhouettes dans la demi ombre qui veillaient sur nous, sur tous, extrayant l'or qui nous chauffait, nous transportait par rail, route, bateau... Et je l'avoue, lorsqu'elle a fermé, je m'en suis réjouie sans le dire. Pour mes copains qui y étaient voués comme un fatum et qui allaient devoir se reconvertir, étudier... et vivre plus vieux, fût-ce plus pauvrement.
Pelé à présent, le crassier dont le feu souterrain a détruit toute végétation |
L'Ermitage à Alès, avec ses ex votos et ses suppliques pour les mineurs |
Ces trésors existent encore, abandonnés comme Molières, comme d'autres villages, par facilité, au nom du "modernisme", de la rentabilité, de la pollution (!) voire, plus hypocritement, de la santé... et à présent, il faudrait les utiliser à nouveau... d'urgence.
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