dimanche 3 février 2013

La recherche du temps perdu. La madeleine (Proust) version Molières

La chambre de la "tante Léonie" à Combray
 (Proust "La recherche du temps perdu")



Extrait. "II y avait déjà bien des années que, de Combray, rien n'existait plus pour moi, quand un jour d'hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère me proposa de me faire prendre un peu de thé. Et bientôt, accablé par la morne journée je portai à mes lèvres une cuillerée où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. A l'instant même où la gorgée mêlée des miettes toucha mon palais, je tressaillis. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans que je n’en sache la cause. II m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire de la même façon qu'opère l'amour. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? liée au goût du thé et du gâteau, elle le dépassait infiniment. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit, dépassé par lui-même ; chercher ? pas seulement : créer. Mon esprit est en face de quelque chose qui n'est pas encore et que seul il peut réaliser puis faire entrer dans sa lumière. En moi quelque chose se déplace, voudrait s'élever, désancré d’une grande profondeur ; je ne sais ce que c'est, mais cela monte lentement ; et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray, quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son thé. La vue de la madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; mais, quand d'un passé ancien, rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore comme des âmes portant sans fléchir l'édifice immense du souvenir..." 

 Translation in english here (link)

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